Raconter un conte traditionnel aux enfants ? 

 

Plaisir partagé « gratuit », pas de leçon à tirer, pas d’interprétation...

Ayons surtout comme but de partager un moment de plaisir avec l’enfant.
Surtout pas de travail « scolaire »[1] : pas d’« interrogation » sur le contenu ou de correction d’une « erreur » que ferait l’enfant en racontant le conte. Lors d’un partage après que j’aie conté Hansel et Gretel, un enfant évoqua le méchant papa alors que c’est la mère des enfants qui veut les perdre dans la forêt. J’étais surprise mais je ne l’ai pas corrigé, c’est ainsi qu’il l’avait « entendu ». Néanmoins, si les enfants se corrigent entre eux, laissons-les faire tout en veillant à la bienveillance de leurs échanges et au respect de chacun. Nous pouvons constater simplement, « Ah, toi, tu l’as entendu comme cela ? Et toi comme ceci ? », ou « Oui, le conte le dit comme cela et chacun le sent comme il le sent ».

L’important est que l’histoire prenne corps pour l’enfant, que des images se forment, qu’il la rêve à sa façon. Un matin que je conduisais un de mes fils à la gare, il s’émerveilla de voir un cygne évoluer sur le canal et le soir, il me raconta que le professeur leur avait justement lu une histoire de cygne... Quelle tristesse de savoir quelques jours plus tard qu’il avait perdu beaucoup de points dans le travail de restitution de l’histoire car il avait écrit « cygne » à la place du nom de l’oiseau qu’elle mentionnait.

... et pourtant, quel immense apprentissage tout naturellement !

Il n’est pas nécessaire d’expliquer les mots compliqués si l’enfant ne le demande pas, il se crée spontanément une image qui fait sens pour lui dans le contexte du conte comme il l’entend.
Et si nous racontons beaucoup de contes et plusieurs fois chaque conte, l’enfant finit par acquérir le sens de nombreux nouveaux mots. Et, du même coup, ce développement de son vocabulaire améliore sa capacité à penser puisque celle-ci dépend des mots à notre disposition pour la produire.

N’essayons pas non plus de lui transmettre des interprétations que nous aurions lues ou perçues, au mieux cela ne lui apporterait rien, au pire cela entraverait son propre cheminement avec le conte.

Je facilite la tâche du conteur !

Il ne faut pas « savoir conter », il suffit d’offrir à l’enfant ce cadeau unique : la disponibilité et la proximité du conteur. Pour aider ce dernier, je réécris les contes en en maintenant scrupuleusement l’intégralité mais avec des phrases courtes où le présent remplace l’imparfait et par une mise en page qui suspend souvent le débit du lecteur car son regard est obligé d’aller à la ligne. J'envoie ces contes "mis à la bouche du conteur" aux participants à mes ateliers.

Lisez tranquillement, le plus lentement possible et avec des silences, de façon à laisser le temps aux images de se créer dans l’esprit de l’auditeur. Je construis d’ailleurs les phrases pour que la succession des mots coïncide avec la succession temporelle des éléments de la scène. Par exemple, « la porte s’ouvrit soudain... » devient « soudain, la porte s’ouvre... ».

Le conteur est un « témoin », il n’insuffle pas d’émotions chez l’auditeur

Ne suscitons pas nous-mêmes d’émotion chez l’auditeur, c’est lui qui les « choisira » : il peut très bien jubiler alors que je l’imaginerais effrayé ou triste et inversement. C’est souvent une surprise d’entendre ce que les enfants ont aimé et pas aimé dans un conte, d’ailleurs, souvent, dans un groupe, certains apprécient ce que d’autres rejettent.

Malheureusement, il y a trente ans, j’avais mis tant de tension dans le moment où Cendrillon court dans l’escalier alors que les douze coups de minuit se sont déjà mis à sonner que mon fils aîné ne voulut plus jamais me l’entendre raconter.

Certains contes suscitent en moi de fortes émotions : je ne les raconterai que quand je serai en paix avec eux pour ne pas induire chez les autres ce que je n’ai pas clarifié en moi.

Mais certains contes font peur...

Dans les contes populaires, le héros passe souvent par des périodes de détresse telle que les auditeurs se sentent envahis d'émotions difficiles à vivre. Parmi elles, la peur fait peur aux parents ! 

Bernard Chouvier

Plus la violence est explicite, plus elle s’exprime au grand jour, plus elle va pouvoir s’exorciser et se métamorphoser en aspirations positives et socialement convenables."

Le conte décline toutes les horreurs qui peuvent survenir à l’intérieur du groupe familial.
Mais à la fin de l’histoire, tout s’arrange, il est nécessaire que le récit se boucle sur un retour à l’harmonie rétablie afin que le conte assure sa fonction cathartique.

 

Yapaka.be

Chacun a pu faire l'expérience de raconter une histoire terrifiante à un enfant. Et ce conte venait parfois alimenter un passage de vie difficile, une période de cauchemars, mais le plus souvent ne s'accompagnait d'aucune angoisse. Avec les histoires les plus belles et les plus horribles, l'enfant apprend peu à peu le monde. Le monde extérieur bien sûr, mais aussi son monde intérieur, sa vie psychique, son intimité ; donc ses conflits internes, le remue-ménage de ses pulsions avec lesquelles il devra vivre toute sa vie… Mais ce qui permet à l'enfant de se développer par le biais de ces histoires, c'est le fait que l'adulte qui est à ses côtés est paisible, joue avec lui, prend plaisir à raconter… Tous deux savent qu'il s'agit à la fois d'une histoire et de la vraie vie, et la tranquillité de l'adulte assure à l'enfant qu'il n'y a aucun danger actuel.


Certains adultes craignent d'autant plus de lire ces histoires à leurs enfants que ceux-ci vivent des peurs. Parmi elles, les terreurs nocturnes où il est question de loups sont fréquentes, alors plus jamais on ne raconte à l'enfant d'histoires de loups, d'ogres ou de sorcières. Je vous surprendrai en affirmant que, justement, ces enfants-là ont d'autant plus besoin de ces contes ! Un auteur passionnant en parle longuement, voyez les quelques extraits d'un de ses livres sur ce lien : Flahault, La pensée des contes, extraits du chapitre 3 

Conter plutôt que lire ? Conter et re-conter !

Si vous avez envie de raconter un conte plutôt que de le lire, bien sûr, racontez-le ! Et plus vous l’aurez conté, plus il prendra corps en vous et vous le raconterez comme si vous le viviez dans l’instant. Quant à la manière de le faire, outre les recommandations faites ici, je dirais que c’est surtout votre inspiration et votre plaisir de conter qui compte avant tout.

Pour conter dans l’esprit du conte traditionnel, je vous recommande de ne pas ajouter de détails ni de faire de grandes descriptions car mieux vaut laisser à l’imagination de l’auditeur le soin de créer son propre paysage visuel, auditif ou autres perceptions. Ce sera sa création unique et personnelle en fonction de là où il en est et de ce dont il a besoin en ce moment.

Je préconise aussi de relire de temps en temps le conte original car l’un ou l’autre détail vous aura probablement échappé et peut-être est-il d’importance. Soyez aussi attentif à une éventuelle répétition de mots, ce n’est jamais anodin. En travaillant un texte, je suis parfois frappée à la Xème lecture, de percevoir une quasi répétition mais avec un changement de vocabulaire. Il n’est pas rare qu’en allant vérifier ce qu’il en est dans le texte allemand, je constate que c’est le même mot qui est utilisé alors que le traducteur en a utilisé un autre !

Certains contes contiennent quelques rimes qui se répètent, veillez à les répéter identiquement Vous aurez d’ailleurs peut-être vous-même un tour langagier personnel pour certains passages du conte et vos petits-enfants vous reprendront si vous en changez !

Car, surtout, reprenez les contes, racontez-les encore et encore à vos petits-enfants c’est la répétition qui permet aux contes d’opérer leur travail intérieur. D’ailleurs, les enfants réclament souvent les mêmes contes.

Sans images

Le conte traditionnel raconté sans support visuel permet d’éveiller ou développer l’imaginaire de l’auditeur. L’imaginaire est une caractéristique fondamentale de l’être humain, une nourriture essentielle du psychisme et une des sources de la pensée, la « pensée » par opposition à l’intelligence logico-mathématique. Celle-ci concerne les liens de cause à effet, les enchaînements logiques, la construction de phrases, la validité de raisonnements, l’adéquation du vocabulaire à l’idée développée.

Tandis que, pour Hannah Arendt, « ce qui définit le plus l’être humain, c’est qu’il est en mesure de penser », c’est à dire « d’être engagé dans un dialogue silencieux entre moi et moi-même » et d’être « capable de jugements moraux ». Ce n’est qu’en acquérant ce qui lui permettra de penser que l’enfant deviendra une personne puisque, selon Arendt, être une « personne », c’est être « capable de penser », d’avoir des opinions personnelles, de s’impliquer personnellement3.

 

 

[1] Même s’il est recommandé de conter à l’école, bien sûr. Et de partager, échanger, débattre sur le conte, ce qu’il évoque, ce qui choque ou fait plaisir... mais avec une entière liberté de pensée ou de participation ou non des participants, ceci doit faire l’objet d’une réflexion en soi.

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