Ce qu’ils disent des contes traditionnels
Guillaume Grimm :
Une chose qui a, d’une façon si diverse et toujours renouvelée, charmé, instruit, ému les hommes, porte en soi sa raison d’être nécessaire et vient nécessairement de cette source éternelle où baigne toute vie. Ce n’est peut-être qu’une petite goutte de rosée retenue au creux d’une feuille, mais cette goutte étincelle des feux de la première aurore.
Armel Guerne, traducteur des contes des frères Grimm (Flammarion, 1967) :
Si les générations de siècle en siècle se sont transmis sans défaillance et comme un legs universel le patrimoine de ces Contes, c’est qu’il y a en eux une respiration éternellement véritable qui donnait du souffle, une sagesse qui se posait d’emblée, et sans même qu’elle le sût, dans l’innocence des âmes : une expérience préalable que rien ne pourra remplacer.
L’âme à peine éclose, un cœur encore muet mais souple comme il ne le sera plus jamais, un esprit qui devine sans avoir à apprendre, et qui comprend sans savoir qu’il sait : un enfant recevait sa leçon de vie, entrait dans le drame par tous ses pores, goûtait le charme jusque dans les battements secret de son sang.
Cet enfant-là, je vous le dis, faisait un tout autre homme, quand il avait grandi…
Christoph Wiechert
Préface à "La sagesse cachée des contes de Grimm" de Marcus Kranenburg
On pourrait presque se risquer à défendre la thèse suivante: celui qui a été éduqué par les contes a acquis une boussole pour la vie, et si l'on en vient un jour à renoncer à cet apport pédagogique pour ne plus déverser les préceptes de la vie que dans des instructions et des règles imposées de l'extérieur, il y a fort à parier que ce sera bientôt la fin de toute culture humaine.
Eugen Drewermann
La jeune fille sans mains. Lecture psychanalytique d’un conte de Grimm, Cerf, 1994
Au fond, les contes nous parlent des tensions et conflits qui ont lieu dans notre âme. Ils décrivent au moyen d’images intemporelles le passage, tellement difficile pour nous, de l’enfance à la maturité. Ils mettent en scène les épreuves et les péripéties que nous vivons pendant l’enfance et qui nous poursuivent ensuite dans la vie jusqu’à ce que nous trouvions une façon de nous en délivrer. (…)
Les contes nous donnent le courage de croire en nous-mêmes, à notre droit de vivre, et de surmonter toute notre angoisse et tous nos sentiments de culpabilité, pour suivre résolument le chemin tracé par notre vérité dans notre coeur. Les contes sont des poteaux indicateurs et des jalons dans l’univers de notre inconscient.
Jacqueline Kelen
Une robe de la couleur du temps, Albin Michel, 2014
Déchiffrer un conte, c’est un peu s’avancer seul dans les bois touffus en direction du château merveilleux dont on aperçoit de loin les hautes tours. Peu à peu, les arbres s’écartent sur votre passage, découvrant d’autres perspectives, une vision plus nette, et les buissons impénétrables se parent de fleurs qui éclosent comme autant de significations nouvelles.
Les contes de fées permettent d’adopter une diversité de points de vue sur le récit : le lecteur peut s’identifier à un ou plusieurs personnages humains de l’histoire, mais aussi se mettre à la place d’un animal et envisager avec une sensibilité différente l’aventure qui se déroule. Il y a plusieurs strates dans un conte, de l’apparent au plus caché, du littéral au spirituel, mais également un éventail offert de regards croisés. (...)
Adopter des points de vue différents est un exercice qui ouvre le cœur autant que l’intelligence.
Aux petits humains, les contes traditionnels rappellent deux choses principales : qu’ils ont à apprendre et à grandir.
Apprendre, c’est quitter l’indolence et la suffisance, écouter, faire silence, être curieux et attentif ; c’est laisser les fausses certitudes, faire des expériences, se tromper acquérir le discernement ; c’est persévérer avec ferveur, s’ouvrir à la connaissance qui emplit le cœur.
Pour grandir, il faut d’abord prendre la mesure véritable de l’être humain et envisager ses possibilités inouïes, désirer hautement et ne jamais renoncer.
Bruno Bettelheim
Psychanalyse des contes de fées, Robert Laffont, 1976
Ce qui donne aux contes une valeur durable, c’est que chacun d’eux peut être ressenti de façons très différentes selon l’âge.
A force d’avoir été répétés pendant des siècles (sinon des millénaires), les contes de fées se sont de plus en plus affinés et se sont chargés de significations aussi bien apparentes que cachées ; ils sont arrivés à s’adresser simultanément à tous les niveaux de la personnalité humaine, en transmettant leurs messages d’une façon qui touche aussi bien l’esprit inculte de l’enfant que celui plus perfectionné de l’adulte. Comme toute production artistique, le sens le plus profond du conte est différent pour chaque individu, et différent pour la même personne à certaines époques de sa vie.
L’adolescence est une période de changements importants et rapides, caractérisée par des phases de passivité et de léthargie absolues alternant avec une activité frénétique, et même un comportement dangereux, pour « se prouver qu’on existe », ou pour décharger la tension intérieure. Ce comportement hésitant de l’adolescent trouve son expression dans certains contes de fées.
L’enfant, parce que la vie lui semble souvent déroutante, a le plus grand besoin qu’on lui donne une chance de se comprendre mieux au sein du monde complexe qu’il doit affronter. Il faut donc l’aider à mettre un peu de cohérence dans le tumulte de ses sentiments. Il a besoin d’idées qui lui permettent de mettre de l’ordre dans sa vie intérieure et sur cette base, dans sa vie également.
Le conte de fées, tout en divertissant l'enfant [et tout auditeur], l’éclaire sur lui-même et favorise le développement de sa personnalité. Il a tant de significations à des niveaux différents et enrichit tellement sa vie qu’aucun autre livre ne peut l’égaler. [Cela] uniquement parce qu’il ne sait pas très bien comment ces contes ont pu exercer sur lui leur charme.
Il n’est pas sage d’accabler l’enfant de paroles pour commencer à élargir son horizon (…). L’apprentissage de l’enfant veut précisément qu’il décide lui-même de ses démarches vers le monde extérieur, au moment qu’il jugera opportun et dans des zones de vie qu’il choisira lui-même. Le conte de fées favorise ce processus parce qu’il se contente de faire signe ; il n’insinue pas, n’exige pas et n’exprime rien explicitement. Tout est dit implicitement sous une forme symbolique : quelles sont les tâches que doit accomplir l’enfant à l’âge qu’il a atteint ; ce qu’il doit faire à l’égard des sentiments ambivalents qu’il éprouve pour ses parents ; comment il peut maîtriser le tumulte de ses émotions. Le conte de fées avertit aussi l’enfant des pièges qu’l peut rencontrer et peut-être éviter et lui promet toujours une issue favorable.
Comme nous ne pouvons pas savoir à quel âge précis un conte particulier a le plus d’importance pour un certain enfant, il est impossible de choisir parmi les innombrables contes celui qu’il convient de lui raconter. Seul l’enfant, par l’intensité de ses réactions émotives à l’égard de tel ou tel conte, peut montrer que son inconscient, ou son conscient, est atteint. (…) Pour le choix des contes de fées, il est toujours bon de se laisser guider par l’enfant [ou par l'auditeur].
Marc Girard
Les contes de Grimm. Lecture psychanalytique, Imago, 2011
Les contes de Grimm ne défendent aucune thèse; ils racontent un certain nombre de situations existentielles typiques, certes, mais infiniment nuancées. Ce qu'on peut dire d'un conte donné n'est jamais systématisable; le rapport de forces de l'histoire qui vient juste après peut être radicalement différent. Parce qu'elle laisse entrevoir la profondeur humaine, la chatoyante diversité de l'ensemble est fascinante: le discours des Grimm sur l'humain est proprement inouï, probablement unique, en tout cas exceptionnel.
www.rolandsimion.org/spip.php?article172
Les fées sont des êtres surnaturels parmi d’autres (magiciens, animaux dotés de pouvoirs magiques, parfois personnages sacrés – saints ou anges) qui fonctionnent en survenant au bon moment pour aider le héros dans la peine. Leur rôle est crucial : ces êtres dotés de pouvoirs merveilleux surgissent juste au moment où le héros est à la croisée des chemins, entre catastrophe et réparation, entre échec et succès. Leur apparition est souvent scandée par le rythme ternaire assez classique des contes. Le héros aura besoin de leur concours à trois reprises, pour trois épreuves successives – dont la réitération conduira parfois le donateur à d’émouvantes expressions de compassion adjointes de belles formules d’encouragement : « Rassure-toi, tout n’est pas encore accompli » (L’ondine dans l’étang)...
Henri Gougaud, conteur et écrivain
www.henrigougaud.info
Les contes m’ont nourri toute ma vie, ils m’ont fait ce que je suis. Comment ont-ils fait ? Je l’ignore, c’est leur secret.
Clarissa Pinkola Estés
Femmes qui courent avec les loups, Grasset, 1996
Une fois, j’ai rêvé que je racontais des histoires et que quelqu’un me tapotait le pied pour m’encourager. Baissant les yeux, je m’apercevais que j’étais debout sur les épaules d’une vieille femme qui me tenait aux chevilles et me souriait.
- Voyons, disais-je, c’est à vous de monter sur mes épaules. Car je suis jeune et vous êtes âgée.
- Absolument pas. C’est ainsi que les choses doivent être.
Je découvrais alors qu’elle se tenait sur les épaules d’une femme encore beaucoup plus vieille qu’elle, qui elle-même se tenait sur les épaules d’une femme vêtue d’une longue robe, laquelle se tenait sur les épaules d’une autre âme et ainsi de suite…
La vieille femme du rêve avait raison. Ce sont les dons et la force de nos prédécesseurs qui nourrissent les histoires que l’on raconte et que l’on écoute.
Edouard Brasey & Jean-Pascal Debailleul
Vivre la magie des contes, Albin Michel, 1998
En réalité, ces contes ne sont pas faits pour endormir les enfants, mais pour éveiller les hommes à la conscience d’eux-mêmes.
Cette tradition secrète, à laquelle puisent les contes de fées, forme une source de sagesse unique qui est à la base de toutes les spiritualités et toutes les religions du monde, mais dans les contes de fées elle se présente de façon tellement simple qu’elle est restée pure, inchangée. Sous leurs dehors enfantins, les contes transmettent, à ceux qui ont des oreilles pour entendre, des yeux pour voir et un cœur pour ressentir, un savoir initiatique très subtil, auquel de tout temps l’être humain s’est référé pour apprendre à mieux se connaître. (…) C’est si on les écoute avec le cœur qu’ils nous livrent leurs trésors cachés (et non par une approche intellectuelle qui a pour effet de tuer le mystère). (…) Ils nous ouvrent à un monde de grandeur et de beauté qui n’est autre que nous-mêmes.
Jeanne Cappe
Expériences dans l’art de raconter des histoires, Casterman, 1952
Les mythes, précurseurs des contes, ont bercé l’enfance des peuples comme les contes bercent encore et berceront toujours l’enfance des individus. Pas une note de l’expérience humaine de tous les temps qui ne soit illustrée par des histoires.
Les vagues de nomades, de conquérants, de vaincus emmenés en esclavage, de troubadours, de marchands et tant d’autres voyageurs ont encerclé la terre et réuni les forces du monde en un lumineux faisceau pour faire de chaque âme humaine un calice ouvert à la poésie.
Pour les Jungiens: Anna Griève
Les trois corbeaux ou la science du mal dans les contes merveilleux, Imago, 2010
Le merveilleux des contes merveilleux, dans sa signification la plus compréhensive, c'est ce lien de juste interdépendance, ce tissage de sens entre la conscience, le monde archétypal et le monde extérieur. Un tissage de sens que la conscience peut comprendre juste assez pour y participer, tenir son rôle essentiel, mais qu'elle ne peut ni concevoir ni prévoir.
Amos Oz
interviewé par K. Elkaïm dans Livres-Hebdo du 17/6/16, cité par La Libre Belgique, Lire, du 27/6/16
J'ai grandi entre les récits de mon père, enseignant, et ma mère, une formidable conteuse. (...) C'est un besoin animal, au même titre que le rêve. Il est plus ancien que la littérature. La façon de se raconter des histoires, à soi-même et aux autres, est ce qui nous distingue des animaux.
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